Pr Paul Tessier

Pr Paul Tessier

Hommage au Professeur PAUL TESSIER

Par Jean François Tulasne

La « Tessierian Era » * s'est achevée le soir du 5 juin 2008. Celui que l'un de ses élèves étrangers appelait « le maître des maîtres », celui que nos collègues anglo- saxons considéraient comme l'un des dix meilleurs chirurgiens du XXe siècle et qui, brisant les frontières des spécialités céphaliques, rassemblait autour de lui plasticiens, maxillo-faciaux, neuro-chirurgiens, ophtalmologistes, O.R.L. et odontologistes, nous a quittés après 50 années d'une activité chirurgicale sans précédent : plus de 50 000 opérations en France, des centaines d'opérations à l'étranger (principalement aux Etats- Unis) plusieurs semaines par an pendant 20 ans. Paul Tessier n'était pas l'homme des demi-mesures. Travaillant plus que quiconque, curieux de tout et fasciné par les cas extrêmes, il aura tout tenté en matière de techniques chirurgicales pour résoudre ces cas « impossibles » comme il aimait les appeler, avec pour principe « si c'est seulement mieux, c'est insuffisant ». Cette recherche permanente de solutions aux anomalies les plus complexes l'amena très tôt à déborder les limites de notre spécialité et à créer la chirurgie cranio-faciale, l'une des grandes aventures de la chirurgie du XXe siècle.

Paul Tessier n'appartenait à aucune école. Etudiant en médecine à Nantes à la fin des années 30, puis interne en chirurgie, il avait assisté à des interventions sur des fentes labio-palatines qui furent à l'origine de sa vocation pour la chirurgie réparatrice. Après la destruction de l'Hôtel-Dieu par les bombardements alliés en 1943, il avait émigré à Paris où il avait proposé ses services aux Professeurs Virenque (maxillo-facial militaire) et Aubry (O.R.L.) à l'hôpital de Puteaux, puis à l'hôpital Foch de Suresnes. Il y travailla comme assistant bénévole pendant deux ans. En 1945, il obtient un poste d'interne, puis d'assistant à l'hôpital Saint Joseph dans le Service de chirurgie orthopédique pédiatrique de Georges Huc qu'il considèrera comme son vrai « Patron » et avec qui il travaillera pendant plusieurs années. En mars 1946, le décès brutal de Virenque le laisse seul à Foch où il crée le Service de chirurgie plastique et des brûlés qu'il dirigera pendant 37 ans, tandis que le Médecin Général Ginestet prend le Service de chirurgie maxillo-faciale. Dès 1946 et jusqu'en 1950, il passe chaque année plusieurs semaines en Angleterre chez les maîtres de la chirurgie réparatrice : Gillies, McIndoe, Mowlem et Kilner. En 1951, il part cinq mois aux Etats-Unis où il visite les plus grands centres de chirurgie plastique.

Sa collaboration avec les ophtalmologistes de Nantes et de Lille où il opère régulièrement l'amène à se familiariser avec la chirurgie de l'orbite. Lorsqu'il voit en consultation à l'hôpital Foch une forme majeure de maladie de Crouzon, il a suffisamment d'expérience des ostéotomies orbitaires et des greffes osseuses pour réussir en 1958 l'opération de Le Fort III que Gillies avait tentée sans succès dix ans plus tôt en déclarant à ses visiteurs « never to do it ».

L'aventure de la chirurgie cranio-faciale commence au début des années 60 avec la correction d'une forme majeure d'hypertélorisme orbitaire. Le déplacement des orbites (opération qui n'avait jamais été tentée) nécessitait un abord crânien et c'est grâce à son ami Gérard Guiot, neuro-chirurgien de l'hôpital Foch, que l'opération fut possible. A Tessier qui lui demandait s'il pourrait lui dégager la base crânienne antérieure pour qu'il puisse réséquer l'ethmoïde et rapprocher les orbites (ce qui aboutissait à faire communiquer le crâne avec le pharynx, chose interdite à l'époque), Guiot répondit simplement « pourquoi pas ? ».

Les retombées de la chirurgie cranio-faciale ont été immenses. Les techniques mises au point ou perfectionnées par Paul Tessier : voie d'abord coronale élargie, voie crânienne pour aborder le naso-ethmoïde et les orbites, utilisation systématique de greffons autogènes, remodelage « sur table » des pièces osseuses avant leur remise en place, ostéotomies et lambeaux de toutes sortes, ces techniques ont été appliquées en traumatologie, cancérologie et même en chirurgie esthétique, les démonstrations en étant faites régulièrement par Tessier tant en France qu'à l'étranger. De 1971 à 1993, Paul Tessier effectue, deux fois par an pendant plusieurs semaines, des interventions programmées dans les plus grands établissements hospitaliers d'Amérique du Nord, mais aussi au Mexique, Brésil, Cuba, en Grande Bretagne, en Suisse, en Italie, en Chine, en Irak. Il effectuera aussi de nombreuses missions à Téhéran de 1973 à 1978, puis avec ses élèves de 1990 à 1994 pour prendre en charge des blessés de la guerre Iran – Irak.

Pour ses élèves et pour tous ceux et celles qui ont travaillé avec lui, Paul Tessier restera comme un personnage hors norme, un chirurgien doué d'un immense talent, symbole de rigueur, d'audace, d'acharnement au travail, capable de relever tous les défis . Peu bavard et bien qu'ayant toutes les raisons de faire parler de lui, il aimait par dessus tout la discrétion et fuyait les honneurs et le tapage médiatique (on le força à accepter la Légion d'Honneur peu de temps avant sa mort). Mais s'il n'y avait qu'une chose à retenir de ce géant de la chirurgie, ce serait l'espoir fantastique qu'il a représenté pour les « amputés de la face » , tous ceux qui, blessés ou malformés, ont pu grâce à lui découvrir ou retrouver les conditions d'une vie normale. Et pour les enfants qu'il avait opérés, le grand chirurgien qui impressionnait tant ses confrères apparaissait comme un second père et avait avec eux des rapports privilégiés. C'est cette image du médecin qui soigne et qui redonne goût à la vie, plus que celle du technicien exceptionnel, que nous souhaitons retenir pour combler le vide que laisse sa disparition.

* Ralph MILLARD, Cleft Craft, p. 762

Publié dans la Revue de Stomatologie et de Chirurgie Maxillo- Faciale, Volume 109, numéro 5 (novembre 2008)