Dr Henri Szpirglas

Hommage présenté devant l’Assemblée Générale de la SFSCMFCO le 6 octobre 2023.
Cet hommage est également présenté par le Pr Patrick Goudot, et partagé avec nos membres lors des retransmissions vidéos du dernier Congrès, accessibles très prochainement dans l'espace membre privé.

Henri Szpirglas nous a quittés le 1er juillet 2023 dans sa 93ème année. Né le 5 janvier 1931, et très jeune immigré de Pologne, il rêvait d'être chef d'orchestre ou … cow boy. Il ne « réussit » qu'à être à la fois ou successivement dentiste et médecin. Dès sa deuxième année d'études dentaires, il rencontre la Stomatologie lors d'un stage à l'hôpital Lariboisière à Paris. Diplômé en 1954, il commence immédiatement une activité professionnelle nécessaire pour subvenir aux besoins des siens. Il ne quittera jamais ce cabinet du 97 boulevard de Magenta dans le 10ème arrondissement. Mais parallèlement il commence des études de Médecine. Sa rencontre avec Pierre Cernéa à l'hôpital Saint Louis sera décisive, qui l'orientera vers la cancérologie orale. Au prix d'un emploi du temps quotidien extrêmement exigeant, il parvient à concilier son activité de dentiste et un poste de faisant fonction d'interne. En 1958, après l'Ecole des officiers de réserve de Mourmelon, il effectue son service militaire en réanimant le cabinet dentaire situé aux Petites Ecuries à Versailles. Sa journée est alors encore plus chargée : Versailles le matin, faculté de Médecine l'après-midi, cabinet en fin de journée, plus une garde de temps en temps ! En 1962, sous la direction de Michel Château, il soutient sa thèse sur les glossectomies. Docteur en Médecine, il est nommé attaché en Stomatologie à Saint Louis et y rencontre deux personnes qui marqueront profondément l'évolution de sa pratique dans notre spécialité. C'est volontiers notre destin que d'être marqués, influencés, orientés par des « rencontres ». Ces deux personnalités sont Jean Bernard et Claude Jaquillat qui avait créé l'unité de chimiothérapie en 1960. Le premier lui confie les soins chirurgicaux oraux, essentiellement les avulsions, chez les patients hémophiles et leucémiques. Il lui donne surtout une lettre de recommandation pour un tour des Etats Unis dans les plus grands centres de Cancérologie, voyage financé par une bourse accordée par les AOS (Actualités Odonto-Stomatologiques). Le second lui confie la mise en œuvre des chimiothérapies chez les patients présentant un cancer buccal.

En 1964, Henri Szpirglas obtient le Certificat d'Etudes Spéciales de Stomatologie. En 1967, il arrive avec Pierre Cernéa à la Salpêtrière, dans l'Institut de Stomatologie ouvert cinq années auparavant. Il y est responsable de la « chimiothérapie des cancers » jusqu'en 2000. Cette activité était réalisée dans deux lits d'hospitalisation ambulatoire et tout un étage d'hospitalisation conventionnelle. Il ouvre très rapidement une consultation de « Dermatologie buccale », introduit la psychiatrie et la psychanalyse dans la prise en charge des patients atteints de cancer de la cavité orale. C'est un secteur de Pathologie de la Muqueuse buccale (PMB) qu'organise Henri Szpirglas au sein du service de CMF de la Salpêtrière. Deux de ses initiatives seront significatives de sa rigueur, de son dynamisme, de son souci du patient et du travail en équipe. En 1972, il crée le dossier informatisé de cancérologie pour l'élaboration duquel il sait faire travailler ses plus proches collaborateurs « en dehors des heures » sur un historique PDP-11 de Digital. Ces sources exceptionnelles de données permettaient de publier et communiquer sur des séries considérables comme les 456 cancers du plancher buccal de la thèse de Jacques Charles Bertrand ou les 1038 tumeurs de glandes salivaires présentées en 1990 à la Société de Cancérologie Cervico-faciale. C'était l'époque des chimiothérapies intra lésionnelles par cathétérisme intra artériel, par l'artère temporale. La seconde initiative majeure d'Henri Szpirglas a été la création en 1977, bien avant l'obligatoire RCP, de ce qui s'appelait le Comité de Cancérologie. Un membre de l'équipe de cancérologie buccale, un oncologue, un chirurgien maxillo-facial en constituaient l'effectif minimum requis pour une prise de décision commune après examen du malade.

L'apparition du SIDA au début des années 80, devait conduire à la mise en place, dans le département de PMB, d'une consultation dédiée à ces malades, en particulier justifiée par la proximité du service de maladies infectieuses de la Salpêtrière où travaillait Willy Rozenbaum. Ce fut aussi l'occasion de publier en 1983 le premier article sur les manifestations buccales du SIDA. La somme des connaissances d'Henri Szpirglas en matière de pathologie de la muqueuse buccale devait trouver son expression pédagogique. Ce fut en 1994 la création du Diplôme Universitaire de Pathologie de la Muqueuse buccale, qui devint Interuniversitaire avec Tours et Montpellier.

Sa réputation prend parallèlement un essor international, au Liban, en Roumanie, en Afrique ou en Amérique du sud par exemple, où il est fréquemment sollicité pour conférences et enseignements. Nous avons eu la chance de croiser Henri Szpirglas encore longtemps puisqu'il a fallu qu'il atteigne 88 ans et que sa santé lui joue des tours pour ne plus le croiser en « PMB ». Il n'y avait que deux ou trois ans qu'il n'exerçait plus en son cabinet et qu'il ne jouait plus au tennis.

Ceux qui l'ont fréquenté dans le cadre hospitalier gardent de lui le souvenir d'un praticien profondément dévoué à ces patients, auprès de qui il faisait preuve d'une grande empathie. Pour son équipe, c'était un modèle, dégageant un charisme à leur faire oublier soirées et week end, les intégrant volontiers au sein de sa famille de musiciens à Coye la Forêt, dans l'Oise. Henri Szpirglas incarnait la pathologie de la muqueuse buccale qu'il connaissait mieux que quiconque. Il voulait être chef d'orchestre, il le fut à sa manière pour le bonheur des patients, de tous ceux qu'il a formés à cette pathologie, et de la spécialité.