La parole à ...


Candice Cellier photographie des patients et des opérations de chirurgie maxillo-faciale.
Tout ce qui touche au visage, les maladies, les accidents, les attentats...

Maladies, accidents, attentats

Les conséquences inimaginables sur ce qui nous caractérise
comme rien d'autre : notre visage.

Tumeur osseuse évolutive à l'adolescence

Tout a été patiemment réparé : front, yeux, lèvres, pommette...
Adama a aussi pansé l'esprit, un travail de tous les jours.

Candice Cellier.

... nous parle de son travail de
photographe médical et artistique.

La reconstruction s'inscrit sur des temps longs

Les portraits que je réalise ne marquent pas la fin de la reconstruction,
mais le début d'une certaine forme d'acceptation
qui est nécessaire au rétablissement.

J'utilise les codes du portrait de la Renaissance

Les chirurgiens que j'ai pu photographier m'ont appris
qu'ils ont un goût prononcé pour l'art.

Le beau est partout

Il ne tient qu'à nous, chacun de nous, d'accepter ce beau
sans le questionner ou le juger.

Charlie Hebdo. Mon visage, c'est ma signature

Le visage de Philippe fut déchiqueté par une balle d'AK-47
Ne plus pouvoir parler, ne plus pouvoir s'alimenter...
Philippe s'est rendu pour un temps invisible au monde.

Attentat du Bataclan

Une balle de Kalachnikov emporte une partie du visage de Gaëlle
Des mains de chirurgiens ont réalisé des "exploits" sur son visage.


[Re] : LES RÉÉCRITURES DE LA CHAIR.

Par Candice Cellier


Candice Cellier est photographe à l'Hôpital de la Salpêtrière. Elle photographie des patients et des opérations de chirurgie maxillo-faciale. Tout ce qui touche au visage.
Elle introduit dans un contexte familier, confortable, l'essence même de ce qu'on ne veut pas voir, de ce que l'on veut garder invisible : les maladies, les accidents, les attentats. La souffrance physique et morale. Et surtout les conséquences inimaginables de ces indicibles sur ce qui nous caractérise comme rien d'autre : notre visage. Ce qui nous rend unique, finalement. Ce qui induit la communication traduit notre être par le verbal et le non-verbal.

Ne plus pouvoir parler, ne plus pouvoir s'alimenter, ne plus être un personnage public.
Je parle par exemple ici de Philippe, écrivain journaliste dont le visage fut déchiqueté par une balle d'AK-47 à Charlie Hebdo. Philippe s'est rendu pour un temps invisible au monde car la charge était trop lourde pour lui. Le regard de l'autre, inquiet, questionnant, incrédule, devient un fardeau quotidien parce que l'autre projette en lui ce risque que ça lui arrive un jour. Mais au prix d'un processus long et animé par des acteurs invisibles mais bien réels, les techniques de reconstruction chirurgicale vont redonner un visage à chaque patient. Redessiner une courbe, une ombre, lui permettre de retourner à la vie de tous les jours. Tout simplement, reconstruire l'identité pour recommencer.

Philippe évoque dans son livre "Le lambeau" 22 passages au bloc opératoire, dont 13 opérations pour sa mâchoire. Et certaines, comme celle du lambeau, peuvent durer jusqu'à huit heures. C'est une microseconde qui fait passer de l'autre côté, des années pour se reconstruire. Une vie qui a basculé.

[Re] : Les [ré] écritures de la chair, la [re] figuration
Cette allitération en [re] caractérise tellement mon travail que j'en ai fait naturellement le titre d'une série photographique captant l'invisible, avec comme ambition de l'exposer, et d'en faire un livre. J'ai voulu faire cohabiter les instants clé, jamais visibles d'ordinaire, et j'ai intitulé cette série [Re] : LES RÉÉCRITURES DE LA CHAIR. Dans ce long processus de re-figuration, la notion d'invisibilité prend toute son ampleur. Il y a ceux qui se soustraient au regard, les patients. Ceux qui passent en éclair, les chirurgiens. Et tous ceux qui ne veulent pas voir, nous, tout le monde. Et bien c'est exactement là, à cette intersection des temps et de tout ce qui se cache au regard, que j'ai choisi de positionner ma pratique artistique. Et je me suis dit que j'allais en faire mon travail.

Ne trouvez-vous pas qu'elle est belle cette jeune femme ?

Vous-êtes-vous demandé quelle a été son histoire, son parcours, pour en arriver là où elle en est aujourd'hui ? A quoi elle ressemblait avant ?
Se demande-t-on pourquoi on la trouve belle ?

Les chirurgiens ont un goût prononcé pour l'art
Dans les blocs opératoires je me rends invisible pour capturer le geste du chirurgien, cet instant particulier où tout se met en place et je hisse ces moments au statut d'œuvre. Les échanges que j'ai eus avec les chirurgiens que j'ai pu photographier m'ont appris qu'ils ont un goût prononcé pour l'art. Leur sensibilité à la peinture, à la sculpture ou à la photographie est assumée et revendiquée.
Pourtant, c'est sans doute parce que la reconstruction du patient s'inscrit sur des temps longs qu'au fil des années - et il m'a fallu des années - mon sujet d'étude a glissé de la technique chirurgicale vers l'humain, avec la compréhension des enjeux polymorphes de ces reconstructions. Je parle ici de patients qui m'ont confié ne plus accepter d'être photographiés depuis ce qui leur est arrivé. Ils fuient les appareils photo, les réunions de famille où on enregistre les souvenirs en images. Ils ne veulent pas qu'un seul souvenir de ça existe. Ce sont des patients qui se rendent invisibles au monde et au temps, à l'heure où le selfie est roi, le narcissisme est la norme, et l'image de soi omniprésente.

Philippe dont je vous ai déjà parlé, a refusé longtemps d'être photographié, le temps de se réapproprier son visage. Avec le projet de l'exposition, son acceptation a été immédiate, tant sa confiance est entière.
Il y a également Adama, qui après avoir vécu littéralement l'enfer dans son pays, existe maintenant au grand jour grâce à une pleine page dans Le Parisen le faisant apparaître alors comme un homme de réseau et de sagesse plus que comme un homme avec une tête bizarre.

L'Histoire de l'art occidental a toujours été hantée par cette question du beau
Si l'œuvre d'art est faite pour être regardée, contemplée, qu'en est-il de la place du spectateur ? Est-ce dérangeant pour vous ? Avez-vous détourné les yeux de certaines de ces images ? Ou au contraire êtes-vous étonné par le charisme de ces patients ? Ne trouvez-vous pas qu'elle est belle cette jeune femme ? Vous-êtes-vous demandé quelle a été son histoire, son parcours, pour en arriver là où elle en est aujourd'hui ? A quoi elle ressemblait avant ? Se demande-t-on pourquoi on la trouve belle ? L'Histoire de l'art occidental a toujours été hantée par cette question du beau. Elle s'interroge depuis toujours sur des formes de tabous de ce qui nous repousse et nous attire à la fois, mais la réalité quotidienne est autrement plus difficile lorsqu'on est la personne au visage différent.

Exposition "Re-Figuration"

Pour eux, poser dans ce cadre-là était un vrai défi
Les tirages font 2,10 m par 1,20 m.

Exposition "Re-Figuration"
Ils savaient qu'il était question d'être regardé, scruté, jugé. Ils ont dépassé la peur du jugement, et on peut dire que chacun s'est largement dépassé. En photographiant ces patients je m'inscris dans le parcours de soin et le processus de re-figuration. Le portrait que je réalise d'eux ne marque pas la fin de leur reconstruction, mais le début d'une certaine forme d'acceptation qui est nécessaire au rétablissement.

L'invisibilité n'existe pas.
Il ne tient qu'à nous, chacun de nous, d'accepter ce beau sans le questionner ou le juger. J'espère vous avoir aidé à démystifier une partie des tabous autour de la chirurgie, et vous offrir un nouveau point de vue sur ces gueules cassées par la vie, vous offrir l'idée que le beau est partout.